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Le Bordo de Dorso
1 avril 2013

La leçon de rugby : école de Carbon-Blanc, année scolaire 67-68

lilian-camberabero-contre-le-pays-de-galles

C'est l'époque des jeudis libres et par conséquent nous avons classe le samedi, y compris l'après-midi. Au dos de nos cahiers, au-dessus des tables de multiplication est gravée cette maxime : "Fumer fait boire et boire fait fumer ".

C'est l'hiver 1967, j'ai dix ans et je n'y entends rien. Monsieur Baudon a dit que nous comprendrions plus tard. Monsieur Baudon est notre maître. Les pupitres sont en bois avec des encriers dans le coin droit où nous trempons régulièrement de toutes petites boulettes de papier que nous expédions ensuite au visage de nos camarades de classe à l'aide d'une sarbacane. Le maître nous envoie non moins régulièrement jeter les dites sarbacanes dans le poêle à charbon au fond de la classe. Il n'a pas besoin d'ouvrir la bouche. Du haut de son estrade, assis derrière son grand bureau, il désigne le coupable d'un regard puis du menton, l'invite à s'exécuter. Monsieur Baudon est long et sec comme un coup de trique. Blouse grise, sévère mais juste, il est suffisamment intelligent pour nous laisser la bride sur le cou jusqu'au moment où ça suffit comme ça. Le samedi après-midi c'est cours de morale et de géographie.

Un samedi hivernal, le maître accroche une carte de la Grande-Bretagne au tableau et pose un transistor sur son bureau. Mystère et boule de gomme. Il attrape une grande règle et nous désigne sur la carte le Pays de Galles. Bref topo sur le Pays de Galles, sa capitale, l’emblème du poireau, les forces de son équipe. La carte nous fait rêver et le transistor nous fascine autant que la métamorphose du maître. Cet homme si rigoureux et si raisonnable d’habitude se mue soudain en conteur extraordinaire dès lors qu’il s’agit de nous faire pénétrer avec lui dans le monde de l’Ovalie. La sincérité de sa passion nous désarme, sa verve nous embarque. Lorsque débute le match à la radio, on entendrait une sarbacane voler. Je me souviens en particulier du dernier match. La France a gagné les trois premiers et pour la première fois de son histoire a la possibilité de faire le grand chelem. Les trois mots me plaisent, ils claquent bien : le grand chelem ! Celui de Cambérabéro itou. Cam-bé-ra-bé-ro, : lâché avec l’accent du Sud-Ouest, ça aide à faire passer le ballon entre les poteaux. 30 paires d’yeux se lèvent à chaque fois que Cambérabéro tape une pénalité. Retenant notre souffle et lâchant nos applaudissements en cas de succès, le maître esquisse des pas de danse à chaque point marqué. Carrère me plaît bien aussi. C’est carré Carrère, ça a forcément la carrure pour être capitaine. L’équipe de France boucle son grand chelem et le maître est heureux comme les enfants de dix ans qu’il a converti. A l’heure qu’il est qui sait, peut-être boit-il un pot avec Cam-bé-ra-bé-ro ? Que les dieux de l’Ovalie le bénissent, c’est ainsi que cet instituteur de CM2 me transmit le double virus de la radio et du rugby. Voilà pourquoi je n’ai pas oublié le nom de monsieur Baudon.

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