L'humeur bleue Bordeaux

Ah, mamma mia la question qui tue ! Rendant visite de courtoisie voici quelques jours à une jeune galeriste d'art contemporain installée à Bordeaux depuis quelques mois, je la trouvai d'humeur bleue. Non point bleue comme devrait l'être la météo de mai, mais bleue comme le blues. Un doute pernicieux, un affreux doute la prenait soudain aux tripes. Je pressentais la question, je palpais le malaise, et sans aucun doute aurais-je dû alors prendre congé sur le champ mais pouvais-je décemment à l'ignorance que j'allais bientôt étaler faire de surcroît,  preuve de lâcheté ? Que nenni, bien entendu ! Prenant alors un air qualifié généralement de "faussement détaché" j'attendais l'imminente question qui d'une seconde à l'autre allait m'être posée comme elle me l'avait été posée des dizaines de fois auparavant par autant d' aventuriers venus amarrer dans le port de la Lune leurs vaisseaux chargés d'optimisme. " Je me demandais, m'interrogea ma galeriste bluesy, si Bordeaux s'intéressait vraiment à la culture ?" Je suis l'éternel piéton de cette putain de ville - putain étant à prendre bien sûr comme une ponctuation voire comme un adjectif sonore non point comme une appréciation- et je n'ai pas de réponse à cette question. Dans le doute je ne m'abstins pourtant pas et m'en tirai pas une pirouette: " Les Bordelais, répondis-je, un tantinet ronflant, sont des épicuriens , pas des esthètes." Voilà qui ne fit certes pas virer du bleu au rose l'humeur de mon interlocutrice mais qui offrait une porte de sortie à une question qui me reste une impasse. Chère madame, ne m'en veuillez pas. Du tac au tac en effet si je vous avais livré le fond de ma pensée à deux balles, je vous eusse rétorqué que ce que les Bordelais chérissent avant tout reste la culture de la discrétion mais ça, vous le saviez déjà.